Brianna pose dans son fauteuil roulant. Son père, qui est aussi son principal aidant, est agenouillé à ses côtés; ils sourient tous deux en regardant la caméra, et on voit derrière eux le soleil entrer dans la pièce par la fenêtre du salon.
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Brianna

Avoir son père et meilleur ami comme proche aidant

Mon père et moi pouvons communiquer sans parler. Je n’ai qu’à grommeler, à lever un sourcil ou à froncer le nez pour que mon père accoure. On plaisante souvent en disant qu’on passe trop de temps ensemble. Quand on en est à pouvoir lire les pensées de l’autre, quelque chose doit changer, ne serait-ce que pour demeurer sain d’esprit.

« Mon père est mon meilleur ami. Mais c’est aussi mon proche aidant. »

Je vis chez lui. Je mange sa nourriture, et je dois être responsable de 50 % de la facture d’électricité de la maison. Environ trois fois par nuit, il se réveille pour venir me replacer dans mon lit. Il m’aide parfois à me doucher, moi, sa fille adulte.

Notre situation est complexe, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle est exaspérante, mais essentielle à ma vie; notre relation n’est pas facile à cataloguer. Comment expliquer à mon thérapeute que oui, mon père me rend parfois folle, mais qu’il est aussi l’une des rares choses qui me raccrochent à la vie?

Il est beaucoup question de « frontières » de nos jours – de règles, de limites ou de lignes directrices interpersonnelles qui aident à maintenir de saines relations. Sans frontières, on agit à la manière d’un chien sans laisse, qui creuse pour passer sous les clôtures ou traverse la route en pleine heure de pointe. Sans frontières, on se brûle ou on se blesse.

Les frontières sont essentielles dans une relation entre aidant et aidé, surtout lorsque l’aidant joue un double rôle dans votre vie. Imaginez si votre meilleur ami, rencontré au secondaire, était aussi votre soignant professionnel. Que feriez-vous s’il omettait de se présenter un matin? En tant qu’ami, vous pourriez être tenté de lui pardonner. Mais en tant qu’« employeur », vous vous attendez à ce qu’il soit responsable et fiable, au même titre que tout autre employé. Dans ce scénario, ce sont les frontières qui déterminent ce qui est acceptable ou pas. Vous pourriez par exemple lui dire : « J’estime beaucoup ton amitié, mais je m’attends à ce que tu assumes la responsabilité de tes gestes et que tu vois ce travail comme toute autre tâche rémunérée. »

Maintenant, imagez que votre meilleur ami et votre proche aidant, est aussi votre père. Comment amorcer une telle conversation?

Ce n’est pas facile. Je ne prétends pas être une experte sur le sujet. Mais il est utile de reconnaître que les frontières sont difficiles à gérer, quelle que soit la situation. Il y aura toujours un petit malaise, comme une sorte d’empiètement nécessaire.

Apparemment, c’est toujours autour de la table à manger que je discute de nos frontières. Mes pieds sont posés sur la cuisse de ma mère, mon père est assis à ma gauche, et je fixe une assiette à moitié pleine de poulet et de purée de pommes de terre. Et s’il faut en croire l’histoire, je suis en larmes, avec le sentiment d’être coincée entre l’adolescence et l’âge adulte parce que j’ai plus besoin de mes parents que la plupart des personnes de mon âge.

Après une telle conversation, je suis dans un état lamentable. Mes parents sont mes meilleurs amis. Nous sommes sans doute plus proches que nous devrions l’être. La dernière chose que je souhaite faire est de nous compliquer l’existence en traçant une ligne : « Je suis votre fille, mais je suis adulte. On doit travailler ensemble pour que je puisse commencer à agir comme telle. »

« Il faut de la vulnérabilité pour demander ce que l’on veut et du courage pour croire en sa capacité de faire des compromis. » Mais je sais d’expérience que les parents, eux aussi, ont besoin de frontières. Amorcer cette conversation est douloureux, mais en vaut la peine. Et en fin de compte, elle profite à tout le monde.